Music-Hall
- Avril 1959
avec Pia Colombo, Anne Sylvestre et Pierre Brunet
Marcel
Maréchal
Ce poète cocasse, à
la cadence précise, au verbe recherché, est entré en art après de longues
années comme lampiste dans les chemins de fer français. Mais, oui, Roger est
un authentique artiste issu du peuple et du prolétariat (sans le quitter du cœur)
grâce à l’écriture d’un livre très beau, tout de suite reconnu par René
Fallet, la
grande descente. Si Roger n’a jamais cessé d’écrire, il a vite aussi tâté de la scène où il chantait ses propres textes et mélodies.
Je me rappelle, tout gosse, l’avoir vu en vedette américaine (ou anglaise) de Brassens, aux Célestins à Lyon. Ce jour-là, le grand talent de Brassens avait été éclipsé, pour moi en tout cas, par la présence inouïe de ce petit bonhomme tendre et malin et de ses textes sublimes bien supérieurs aux prétendus « poètes » de la chanson ».
Il suffit, à ce cheminot en rupture de gare, de pousser deux ou trois notes, pour nous convaincre que l’art vocal n’est pas son fort.
En bref, Roger Riffard ne chante pour personne et c’est tant mieux. Il parle.
Il raconte sur un ton comique les petits chagrins, les petites misères
de ceux qui regardent les autres danser et ne savent pas mettre un pied devant
l’autre, ceux qui regardent partir les trains de vacances sans jamais les
prendre.
Un poète en fin de compte et qui s’exprime dans
une langue châtiée et personnelle. »
Léon Tcherniak est l'ancien patron du Cheval
d'or. Ce fameux cabaret de la Contrescarpe a
accueilli un grand nombre d'artistes.
Hormis Roger Riffard, Pierre Perret, Anne
Sylvestre, Boby Lapointe,
Ricet-Barrier, Raymond Devos et
bien d'autres y ont débuté. Incontestablement, une belle famille ! « Un artiste complet » « Avant d'arriver à Paris, je crois que Riffard chantait un peu dans les bals de la SNCF. C'est Pierre Maguelon qui l'avait amené au Cheval d'Or. Riffard est arrivé avec son air fûté et sa veste de cheminot. Quelle drôle d'allure !... Je crois que, porté par lui, même un vêtement classique aurait paru étrange (rires). Je l'avais engagé pour huit jours et il est resté car le succès a été immédiat. Il était un artiste complet : dire des choses aussi denses, aussi riches en trois minutes... où qu'on prenne ses textes (il lit Timoléon), tout est beau. Quelle écriture ! Pas de doute, il était poète. Et il ne faut pas pour autant négliger ses musiques : il utilisait la valse, la polka, la java, tout ce qui donnait un rythme, une vie. D'ailleurs, il aimait le jazz, il le comprenait. J'avais tenu à ce qu'il soit accompagné au piano pour être libre de sa gestuelle. Le public était surpris mais unanime. Le
costume neuf :
Pierre
Onténiente (surnommé Gibraltar) a été le secrétaire de Georges Brassens.
Ils auront aidé Roger Riffard en l'éditant et en le faisant tourner. Les deux
chanteurs étaient très liés — jusque dans la mort puisque la disparition de
Riffard
aura précédé celle de Brassens de deux heures. « Un succès inouï » « René Fallet et André Veyre avaient recommandé à Brassens d'aller entendre Roger Riffard. Il a tout de suite aimé les chansons, mais aussi l'homme. Quant à Roger, il était éperdu d'admiration pour Brassens... Leur relation a vite dépassé le cadre professionnel. Georges a énormément aidé Riffard. Il l'a présenté à Canetti, Michèle Arnaud... et surtout, il l'a aidé en le prenant dans ses premières parties. Riffard remportait un succès inouï, presque aussi important que celui de Georges ! Il était tellement inattendu... Il fallait voir ce petit mec avec cette voix de fausset et qui saluait les bras écartés comme le Général De Gaulle (rires). Et ses chansons étaient si drôles, si inhabituelles... Quel personnage ! Georges était
déjà une immense vedette et ses tournées étaient très espacées. En dehors
du travail qu'il trouvait auprès
de lui, Roger ne travaillait
malheureusement pas beaucoup. C'est peut-être
pour cela qu'il n'a pas fait la carrière qu'il
aurait dû. Un jour, on lui a trouvé une place
chez Michèle Arnaud, à 50 francs par jour,
et il nous avait dit, l'air embêté : « Mais
je n 'ai pas quitté la S.N.C.F. pour travailler
deux fois par jour » (rires). Je me souviens d'une tournée où Georges avait pris Riffard et Pierre Louki. On n'arrivait pas à décider qui serait la vedette de cette première partie. Alors, c'était un soir sur deux, chacun son tour. Et alternativement, ils jouaient le rôle du valet de « la vedette » et portaient leurs bagages respectifs avec des manières... On riait beaucoup ! Il
vivait de façon invraisemblable. En harmonie avec la nature, il glanait du maïs,
des
pommes de terre... Il était heureux comme ça.
»
Ils
se sont rencontrés au Cheval d'Or, puis
retrouvés aux Trois Baudets et en tournée en Hollande. Depuis Détour de
chant, Anne a inclus La margelle à son répertoire. Elle garde une immense
tendresse pour ce « drôle de bonhomme ». «
Un vrai poète » «
II se trouve que j'ai habité à Saint-Michel-sur-Orge,
à deux rues de chez Roger. Il
m'avait trouvé une maison là-bas. On se côtoyait beaucoup, il me gardait
Alice, on allait aux champignons
ensemble. Roger et Henriette vivaient
un peu comme des campagnards, ils
glanaient dans les champs, allaient
aux châtaignes, aux escargots... Le sens du langage Je crois qu'il ne recherchait pas le succès. Au moment où tout le monde a été balayé par la vague yéyé, il a fait autre chose : du cinéma, du théâtre. Il n'était pas en position de lutter et ce n'était peut-être pas dans son tempérament. Ce qu'il aimait, c'était être avec ses copains dans une équipe et travailler comme ça. Lorsque je suis devenue productrice indépendante, j'ai failli produire un album de lui : il avait plein de nouvelles chansons. Mais il voulait tout un orchestre. Je démarrais ma maison de disques et j'avais peur de ne pas pouvoir assumer. Cela ne s'est pas fait et je le regrette.
Pierre
Maguelon « La folie de l'innocence » « René Fallet avait fait un article élogieux sur un des livres de Roger dans le Canard Enchaîné, et avait parlé de lui à Georges Brassens. Roger écrivait des chansons et des livres mais ne chantait pas encore. La première fois, ça a été en tournée, avec Georges et moi. Ensuite, je l'ai amené au Cheval d'or. Tous les deux, on débutait dans cette tournée, on avait des origines voisines, tous les deux étions provinciaux, et, souvent, on partageait la même chambre d'hôtel, cela coûtait moins cher. Roger était très cultivé, très érudit (il avait été enseignant). Il connaissait la littérature et m'a appris plein de choses; ne serait-ce qu'à propos de mon travail : j'étais conteur et improvisais. Roger
avait un côté bohème, décalé de
la réalité, et cela me plaisait. Je
l'aimais beaucoup. Quel compagnon
agréable ! En tournée, il produisait un effet plus énorme qu'au Cheval d'Or (le public du cabaret était plus habitué à voir des choses étranges). Les gens étaient médusés ! (rires) Ils étaient tellement surpris de voir arriver ce type qui avait un physique de tout sauf de chanteur... Et cette voix... Et ces gestes invraisemblables (rires). Il faisait un malheur et c'était parfois difficile de passer après lui. Riffard et Lapointe II avait la folie de l'innocence; il était conscient de l'effet qu'il produisait mais ne le maîtrisait pas. Attention, au Cheval, c'était étonnant aussi et ça marchait fort. Son personnage correspondait à l'univers du lieu, il y avait là Suc et Serre, Boby Lapointe. Roger et Boby sont à rapprocher : une même folie, une même gestuelle... J'aime autant les chansons de Roger que celles de Boby et je trouve qu'il y a une petite injustice quand je vois combien on adule Boby aujourd'hui. Nous nous sommes aussi retrouvés sur plusieurs films. L'un d'eux se tournait près de chez moi, dans le Midi. Naturellement, il logeait dans ma maison. Tous les soirs, on faisait venir le facteur et Roger nous faisait un concert. C'était formidable. En
tant qu'acteur, il était un peu
moins spontané, il appuyait un tout
petit peu, et je suis sûr qu'il aurait
connu une carrière fabuleuse, digne d'un
Bourvil par exemple, s'il avait eu le temps
de gommer ce « petit trop » (Bourvil avait,
justement, su effacer son côté chargé). Mais
il restait une grande figure, un personnage
! » Patrick Ferrer est un jeune
auteur-compositeur-interprète. Après
quelques premières parties
(Henri Tachan, Michel Fugain), il se produit
seul. Depuis quelques temps, il interprète aussi les autres : Rémi Tarrier, Jean Villard-Gilles et Roger Riffard. Patrick Ferrer sera au Tourtour en septembre, pour dix représentations. « Proche de l'absurde » « Lorsque j'ai fait le Tourtour, Jean Favre m'a conseillé de reprendre quelques titres du répertoire. Je ne connaissais pas Roger Riffard; je l'avais seulement vu dans quelques films sans savoir qui il était - notamment dans Buffet froid. Lorsque j'ai entendu Timoléon le jardinier, je l'ai réécoutée vingt fois de suite ! Mais j'avais peur de ne pas pouvoir la reprendre : elle était un peu trop désuette, aussi, j'ai pensé à la réactualiser un peu, en mettant en scène le dialogue mère-fille et en changeant le rythme. Ce que j'aime chez Roger Riffard ? Son écriture ! Et aussi le personnage avec cette voix si drôle ! Son univers me touche; c'est proche de l'absurde, un peu dérisoire. Et puis, il y a toujours un contenu, même si les chansons sont humoristiques. De toutes façons, j'aime le côté un peu artisanal de la chanson à cette époque et on peut, sans problème, chanter des chansons de cette classe-là. Les bonnes chansons sont faites pour être chantées et c'est un excellent exercice que de savoir défendre les autres. C'est un enrichissement, aussi, un moyen de créer son répertoire, son personnage. » (Je chante - n° 14 - Printemps 1994)
extrait du CD "mon festin" (2004) Il y a deux ou trois ans, quelqu'un m'écrivait que je devais être sans doute un admirateur de Roger Riffard. Je me souvenais avoir vu jouer au théâtre un certain Roger Riffard (chez Marcel Maréchal), mais je ne connaissais pas de chanteur de ce nom-là. C'était pourtant le même ! Quelques jours plus tard, en l'écoutant pour la première fois, j'ai eu la sensation étrange de rencontrer un oncle dont on m'aurait tu l'existence : ses vers de mirliton, naïfs et malicieux, m'étaient si familiers ! Né en 1926 à Villefranche-de-Rouergue, Roger Riffard est un des grands oubliés de l'histoire de la chanson française. Pourtant presque tous nous le connaissons, pour avoir souvent aperçu sa petite moustache d'employé municipal modeste dans des téléfilms ou au cinéma (notamment chez Bertrand Blier). Souvent mais toujours dans de modestes petites rôles ! Car ce modeste petit homme semble avoir toujours voulu faire les choses en "modeste" et en "petit" : des petites chansons qui évoquent "les p'tits trains", "la petite maison" ou la modeste pâquerette, les petites histoires de modestes jardiniers ou de piètres danseurs de java, des petits poèmes dédiés aux modestes amours et à leurs petits chagrins, aux modestes amitiés et à leurs petits tracas. Petit, modeste et... fidèle en amitié : lui qui chanta si souvent en première partie de Brassens eut l'élégance discrète de mourir quelques modestes petites heures avant celui qui fut son ami et admirateur. extrait de son livre "Avec Brassens, récit" (Edition Pirot, 1999) Cette
fois, j'étais au volant de ma deux chevaux (ce que c'est que la réussite !) et
j'avais comme passager Roger Riffard. Georges nous baptisa illico Double Patte
et Patachon et nous fûmes souvent - hors scène - l'attraction de l'expédition. |