Fred HIDALGO

(texte paru au dos de la pochette du 30 cm de réédition des titres Philips de Riffard - Références Philips 811 383-1 - Publication Phonogram PG 223 - Année : 1983)




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Né en 1929 à Villefranche-de-Rouergue, d'abord cheminot puis enseignant, écrivain, comédien, auteur-compositeur-interprète enfin, Roger Riffard a tissé en l'espace d'une vingtaine d'années un univers original - à mi-chemin de Brassens et Lapointe - d'un quotidien aux mailles peu à peu rongées par l'insolite. 

Ses observations de la vie et des êtres ont donné naissance à des chansons "à la cadence précise, au verbe recherché" (Marcel Maréchal), bien qu'anodines en apparence, dont l'irrésistible drôlerie n'est jamais très éloignée des larmes. On rit, on sourit, on s'attendrit. Le style est surprenant, populaire et châtié tout à la fois, pour brosser avec une fraîcheur admirable des portraits cocasses et camper des situations burlesques.

Sur scène (souvent en première partie de Brassens, à l'Alhambra, à Bobina, à l'Olympia, en tournée), son personnage de garçon lunaire, naïf et malchanceux, espèce de rond-de-cuir binoclard à la voix haut perchée et mal assurée (qui, ainsi, apportait d'autant plus de sel à son interprétation) enchantait immanquablement son auditoire. 

Preuve d'une forte présence scénique mais aussi des vertus de l'écriture et de la musique (musicien autodidacte, Roger Riffard n'en était pas moins un mélodiste sensible).

Avec Ricet-Barier, Boby Lapointe, Anne  Sylvestre et quelques autres, il fut l'un des piliers du Cheval d'Or jusqu'à sa fermeture en 1968. C'est en octobre 1979 à la Vieille Grille qu'il présenta son dernier tour de chant à l'invitation de Jacques Serizier : une quinzaine de chansons dans lesquelles l'image de la mort apparaît familière, mais tempérée par l'humour et la malice de l'expression. Elle viendra le chercher en octobre 1981, quelques heures seulement avant Brassens pour lequel Riffard était depuis longtemps, plus qu'un ami : "un poète en fin de compte'"…

Puisse cette heureuse réédition d'une partie de son répertoire contribuer à sa (re)découverte nécessaire, en dehors du temps et des modes.



 

Joseph MOALIC

 

Les Amis de Georges - Septembre-Octobre 2000 - N°57

 

"En cette époque où la «compil» est reine, il est lassant de constater que les maisons de disques se contentent de nous proposer - certes «réhabillées», «remasterisées»... - toujours les mêmes têtes d'affiche. Il convient donc de souligner les initiatives origi­nales, telle celle entreprise par ULM, un des nouveaux labels d'Universal, lorsqu'elles font émerger d'un oubli scandaleux des artistes comme Jacques Debronckart, Pierre Tisserand ou Roger Riffard.


Qui se souvient de Riffard ? Sans doute quelques amis de Georges, car il a fait partie de ces artistes appréciés par Brassens que l'on découvrait en première partie de ses tours de chant. Pour ceux que la curiosité aurait poussées à rechercher un de ses rares disques, c'était mission quasi impos­sible. Voici une injustice enfin réparée : le CD disponible dans la collec­tion «La chanson française»1 n'est rien de moins qu'une intégrale des titres que Riffard a lui-même enregistrés dans leur version studio. 

 

Une intégrale ?... Pas tout à fait car il existe deux autres chansons, hors catalogue Universal, que l'on peut trouver - mais il faut de la persévérance... et de la chance ! - sur un 45 t rarissime (réfé­rence : JBP 7YE PART 77.946). Il s'agit de «Chanson de Llora Moren» et «La mort du colonel».


A défaut de l'avoir vu sur scène en première partie de Brassens (à Bobino, à l'Olympia, en tournée), ou au Cheval d'Or (le cabaret où il avait ses habitudes), vous avez certainement croisé le bonhomme au détour de nombreux films où il apparaissait dans de petits rôles, avec son allure caractéristique de personnage lunaire, naïf et malchanceux, à la voix haut perchée, roulant des yeux éton­nés derrière ses lunettes de myope. 

 

«// n 'était pas très grand, pas bien costaud. Sa voix était comme un écho des plateaux de l'Aubrac». C'est ainsi que le dépeint André Vers2 qui rencontre Riffard par l'intermédiaire de René Fallet. Nous sommes en 1954 et Fallet, alors chroniqueur littéraire au Canard Enchaîné, vient d'écrire un papier très élogieux à propos du roman de Riffard tout frais sorti des presses de Julliard : La grande descente. Roger Riffard, né en 1929, à Ville-franche-de-Rouergue, est alors manœuvre à la SNCF. Fils de chemi­not, sa culture, c'est dans les livres qu'il est allé la chercher. 

 

Annie Colette, qui a bien connu Riffard, raconte : «Sa mère était gardienne d'immeuble. Or il y avait, au troisième, un érudit avec une bibliothèque extraordinaire. La mère de Roger l'envoyait parfois fermer les fenêtres. Il en profitait pour se plonger dans les livres. C'est comme ça qu'il s'est cultivé, tout seul, à douze ans, en bouquinant»3. André Vers le présente comme quel­qu'un qui "écrivait dans un style d'un classicisme rigoureux des histoires simples, de petites gens qui savent cueillir dans la banalité du quotidien, la tendresse et la poésie (...) Il écrivait des poèmes, comme tout le monde, mais ils étaient de qualité (...) Il se fit donc parolier, puis gratouillant une vieille guitare achetée aux Puces, en s'aidant d'une méthode, il se découvrit capable de composer une mélodie (...) En quelques mois il écrivit plu­sieurs très bonnes chansons (...) Le patron du Cheval d'Or l'engagea à l'essai. Et ce fut un très honnête suc­cès, encourageant pour un débutant". 

 

Il fut donc - jusqu'à la fermeture en 1968 - l'un des piliers du Cheval d'Or, avec Ricet Barrier, Boby Lapointe, Anne Sylvestre et quelques autres dont Annie Colette qui se souvient : «Timoléon, c'était génial !... Il était d'une drôlerie, Riffard, avec ses mimiques crispées... Ça vous déclenchait une rigolomanie épouvan­table...»

Certes, les chansons de Riffard sont souvent drôles. Et si le public rit beau­coup, comme en témoigne l'enregistrement «live» de quatre de ses chan­sons, on se dit que les mimiques évo­quées par Annie Colette, ainsi que l'allure un peu ahurie de l'interprète y sont certainement pour beaucoup. A l'écoute de ses chansons, on sourit mais le bougre sait y faire pour nous désarçonner lorsque la chute coupe toute envie de rire. 

 

Écoutez, par exemple, «Les pâquerettes». De plus, toutes ses chansons ne sont pas rigo­lotes : s'il fallait un exemple, quoi de plus noir que «La margelle» ?
Toujours est-il que Roger Riffard a su se tisser un univers original au style très personnel. Une fois entendues, on n'oublie plus ses chansons et les personnages qu'il y campe, portraits attachants, souvent cocasses. On sou­rit. On s'attendrit aussi. De temps à autre, on se laisserait aller à une larme...
Voilà presque vingt ans que Roger Riffard s'en est allé. Il avait donné son dernier récital en octobre 1979, à la Vieille grille, à l'invitation de Jacques Serizier.

 

L'image de la mort se bala­dait au travers de ses chansons, familière mais tenue en laisse par l'hu­mour. Lorsque "La mort brandit la longue faux /D'agronome...», elle ne se contenta pas, comme dans la chanson du bon maître, de faucher «... d'un seul coup d'un seul,le bon­homme. .. » mais - emportée par son élan ? geste maladroit ? souci d'éco­nomie ? - elle enleva, dans le même voyage, Riffard et Brassens.

 

Dans l'ordre : Riffard en américaine et Bras­sens en vedette.


1 Roger Riffard, CD ULM-Universal 157.470-2.
2 André Vers : «C'était quand hier ?», Edi­tions Régine Deforges, 1990.
 3 Entretien François Bellart / Annie Colette réalisé le 17 février 1999.


 

 


René Maltête

(critique de l'album 30 cm parue dans le n° 37 de février 1984 de Paroles et Musique )

Dans Paroles et Musique 23 de 1982, nous avions rendu un hommage posthume, mais non moins vif à Roger Riffard décédé dans la foulée de Georges Brassens : ils furent en effet inhumésle même jour. C'est après la lecture de ce papier que la direction de Phonogram- Philips envisagea la réédition de quelques-unes de ses chansons, d'où l'heureuse parution de ce Riffard de derrière les fagots.

Toute fraîche est la galette qui nous arrive aujourd'hui. Fera-t-elle cette fois le beurre de la firme éditrice ?Seize titres sont proposés sur ce 30 cm, les uns enregistrés en public à Bobino en 1962 avec Armand Motta au pupitre, les autres gravés au studio sous les directions d'orchestre de Franck Ausman, Roger Damin, Jean-Michel Defay, Pierre Chaub.

Les cinglés du music-hall des années 60 qui ont pu ouïr Riffard de visu - quelle formule ! - lors de premières parties du Tonton Georges à Bobino, à l'Alhambra, à l'Olympia ou en tournée, autant que les noctambules qui s'entassaient au Cheval d'Or pour "se l'entendre" (avec, au même programme, Anne Sylvestre, Ricet Barier, Boby Lapointe...) devraient tous se ruer vers ce nouveau pressage. Pensons encore à la joie que l'on va susciter chez les collectionneurs de refrains rigolos. Sans oublier les plus jeunes qui se sont esbaudis lors de la relance post mortem , également par Philips, de Boby Lapointe, tous sillons devenus hors d'usage, par suite de quintes intempestives . La bof génération va pouvoir de bidonner de nouveau. 

En voici une petite, rustique et printanière... C'est comme ça qu'il annonce les pâquerettes, son plus bel atout, avec dans le même jeu : "Timoléon le jardinier", "La java du solitaire", "mon copain d'Espagne", "La margelle", " A la cambrousse",et encore la guitare d'Édouard - émouvante chanson testament - "Mamz'elle Grand Flafa"... Ses fantaisies, en prenant de la bouteille, ont gagné du fumet sans rien perdre ni en corps, ni en nuances, vingt-et-un ans nous en séparent et elles semblent sauter du dernier train. Et surtout la voix est là, inimitable avec cette octave en trop qui en fait toute la drôlerie.

Après tant de pédanterie dans la littérature, les collections consacrées aux humbles font florès dans les librairies. Des rayons entiers sont garnis depuis peu, par les autodidacteset autres marginaux du savoir officiel. Riffard, ce douanier Rousseau de la chanson,ce banlieusard, cet artiste popu, issu directement du prolétariat - sans le quitter du coeur - cet ancien cheminot SNCF reste un authentique pousseur de notes et de mots. C'est un homme unique en son genre qui chante un monde à sa mesure. Plaise enfin au grand public de le reconnaître.

 


Suzy CHEVET

(Le Monde Libertaire N°56 Janvier 1960)

Aux confins du massif montagneux, les vallées largement ouvertes vers les plaines chaudes, le Rouergue pousse vers le ciel ses pitons arides couronnés par des châteaux de contes de fées. Le Tarn gronde en dévalant les Causses qui enserrent le pays ; mangées par le temps les pierres gardent le souvenir des cours d'amour et de poésie qui au moyen âge accueillaient le trouvère et son rebec. Dans les salles froides protégées par les remparts, les fossés herbus, les escaliers à vis, les belles mélancoliques rêvaient au prince charmant en attendant l'époux parti aux croisades. Là est la poé­sie au parfum de bruyère et avec elle le ménestrel, musicien, poète, interprète de ses propres œuvres et ancêtre légitime des Brassens, des JacquesBrel, des LéoFerré.

C'est sur cette terre rude au souvenir enivrant qu'est né Roger Riffard, écrivain, poète qui fut cheminot et comme tel mêlé à tous les mouvements ouvriers de ces dernières années, rédacteur à la page littéraire de notre journal avant d'interpréter les chansons dont il compose lui-mê­me les paroleset lamusique.

Des jours difficiles, Roger Riffard conserve une mélancolie non exempte de cruauté dont il tein­te une œuvre cocasse qui rappelle par certains côtés Noël-Noël. Écoutons-le :

Ils s'en vont vers des pays 
Pleinsdeblésépanouis 

Les p'tits trains en trois bonds 
Parvenusà l'horizon

Sifflent des airs guillerets 
Par les champs et les forêts...

Sur la scène Riffard a créé un personnage qui ne doit qu'à la tendresse et qui trousse sa strophe, son efficacité comique. Riffard ne vient de rien et ne va àrienetpourtantsa présence est certaine et son geste économe souligne juste ce qu'il faut les tendres pousses de son florilège.

Belle inconnue
Du fond de la nuit
Sur mon bateau
Jet'appelle
Faute d'avoir su
Amarrer mavie
Au ruban de ta jarretelle


Ona dit ici en son temps tout lebien que nous pensions de l'œuvre littéraire de Roger Riffard (œuvre simplement interrompue et qui se continuera).A cette œuvre littéraire Riffard doit une maîtrise qui le sort du courant et l'installe auprès des poètes qui tonnaient la courde laReine de Navarre, eux-mêmes issus des fabliaux. 

Écoutez encore :

On dit que l'vent de la Vach'noire
Chargé
des senteurs de Meudon
Aurait dans le cours de l'histoire,
Brisé plus d'un'rose en bouton...
Vlà le printemps qui s'empresse
D'ouvrir !a fleur du cerisier
Mais comm'la fleur de la jeunesse
Toutça n'va point s'éterniser.


Roger Riffard qui chante au « Cheval d'Or » sur la montagne Sainte-Geneviève et au flanc du côteau de Montmartre « Aux Trois Baudets » nous apporte un peu de la fraîcheur de ses val­lées. Installé dans son métier par son ami Brassens qui guida ses premiers pas, nous le verrons sous peu quitter les montagnes de Paris pour la scène des grands music-halls, à une place encore libre à laquelle son talent lui donne droit.

P.S. — On peut trouver à la librairie du journal « La Grande Descente » et « Les Jardins du Bitume ». les deux livres de Riffard parus chez Julliard.

 


MIDAS

(Le Monde libertaire N°52 - juillet 1959)

Roger Riffard, bien connu de nos lecteurs, se lance dans la chanson. Compositeur-parolier, il fait de ravissantes petites chansons pleines de poésie qu'il interprète d'une voix acidulée qui fait penser à Noël-Noël et à Grello.
Un petit format Philips groupe quatre chansons : Les Petits Trains, Mam'zelle grand Fla-Fla, Mon Copain d'Espagne et La Margelle, pleines d'humour et de tendresse contenues.
Notre ami Brassens qui « patronne » le gars Riffard lui promet un bel avenir; à cet avis autorisé je ne puis faire mieux que souscrire.



45 Tours EP [Philips 432 363 ]

 


 

Maurice JOYEUX

(Le Monde Libertaire N°19 - juin 1956 : Le livre du mois)

"LES JARDINIERS DU BITUME" de Roger RIFFARD (Julliard, Ed.)

Notre ami Roger Riffard, dont nos lecteurs ont pu lire des articles dans notre journal, vient de faire paraître un nouveau roman. C'est le second ouvrage de ce jeune écrivain ouvrier cheminot, qui a gardé à la bouche une amertume que connaissent bien ceux qui ont mesuré les difficultés de vivre.

« Les jardiniers du bitume » est le roman de ses espoirs minés qui fortifient notre marche sur la route de notre vie.

Dans un faubourg de la ville, Alexis mène une vie difficile. Sa cervelle étroite rêve de l'évasion vers la nature, où les fleurs sont butinées par des abeilles aux ailes irradiées par le soleil. La réalisation de ce rêve dépend de son copain Durand. Durand perd son fils et le rêve d'Alexis, longuement mûri dans l'atmosphère lourde de l'entrepôt où il travaille, s'évanouit. Minou la femme, essaie maladroitement de panser la blessure. Un bistro sordide, des escaliers poisseux, une chambre étroite, enfin la rue, la rue sale, humide, baroque forment la toile de fond de son roman qui baigne dans la tendresse, dans la poésie, dans le désarroi aussi et où l'on regrette que la révolte ne soit représentée que par « l'homme au grand chapeau », personnage pittoresque, sympathique, mais en dehors des réalités.

Riffard, dans les dernières pages de son ouvrage, atteint et nous fait partager l'émotion que soulève l'échec de ces modestes bonheurs auxquels rêvent les humbles.