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C'est grâce à Georges Brassens, Roger Riffard était un
auteur-compositeur-interprète, (Paroles & Musique n°23 - octobre 1982) |
C’était au boulot, vers 1960 ; Il nous arrivait d’écouter la radio. De temps en temps, on entendait un gars à la voix de fausset qui interprétait une sorte de paso doble.
Mon copain qui revenait d’Espagne M’a
dit d’un ton bizarre
D’Austerlitz… -
Il est bien, lui. Comment tu l’appelles ?
Quelque temps plus tard, aux
« Trois Baudets », la présentatrice annonce un auteur compositeur
interprète : Roger Riffard. Je vois débarquer un bonhomme, futal et polo
gris, cheveux bruns en banane, l’œil furibard derrière ses lunettes. Il n’avait
pas encore ouvert la bouche que mes antennes ont vibré : attention,
spécial ! Le piano attaque et le gars : Ah
! qu'il est doux qu'il est doux D'avoir
son copain près de soi Sur
la souple mousse des bois
Cette voix me rappelle… Mais oui, c’est le type du « Copain d’Espagne »
qui est là, assurant son quatre quatre par un mouvement des poings tout en
énumérant les charmes de l’amitié. A première écoute, c’est naïf comme
paroles avec une petite surprise musicale sur « chanter, c’est ça qu’est
bon ». Mais voilà qu’il enchaîne : Les
pâquerettes, les marguerites
Cette fois, le rythme es ternaire et la mélodie rappelle les chansons
enfantines. Quelques mots savants inclus dans le texte produisent un effet d’étrangeté.
On relève également un sens très sûr de la redite. « Les pâquerettes,
les marguerites » seront dans les couplets suivants montrées en diverses
situations : nourriture pour bovins, témoins d’amours printanières,
ornement tombal. Décidément il y a là un ton et une inspiration qui ne sont
pas du tout-venant. Chanson suivante : Clara
ma fille, d'où rapportez-vous Vous
entendez ça, vous saisissez tout de suite que ce n’est pas n’importe
quoi : dialogue aux tournures choisies, très « ancien
régime », doté d’une musique élégante passant du mode majeur au
mineur selon la personne qui parle. Dans le même temps, vous découvrez le
caractère libertin du sujet : un jardinier occasionnellement admis au rang
des privilégiés. Bon. ACCROCHER,
AMUSER , SEDUIRE
Voilà pour l’objet chanté. Mais chanté comment ? Et par qui ? C’est
là où l’affaire prend tout son sel :cette oeuvre raffinée nous est
servie avec toute l’application requise par une sorte de rond-de-cuir à la
voix haut perchée et pas très assurée… Il y a là comme un décalage. D’autant
plus réjouissant que l’artiste, sur le « voici Maman » qui
introduit chaque réponse de la demoiselle, saisit la couture de son pantalon
entre le pouce et l’index et, le plus sérieusement du monde, se fend d’une
petite révérence… Arrêtez, j’étouffe ! Et les autres spectateurs
avec moi qui, le premier étonnement passé, ne regrettent pas leur soirée.
Mais voilà que l’artiste regagne la coulisse. Déjà ? C’est court,
trois chansons. On en aurait bien repris un peu.
En janvier 1962, Roger Riffard passait à
Bobino en première partie de Georges Brassens : un enregistrement public
témoigne de l’événement. Riffard y interprète quatre chansons dont l’impayable
« Java du solitaire » qu’il annonce comme suit : Voici une
java. Typique certes ! … mais profondément… humaine. Intro. Et c’est
parti. J’
vais souvent au bal musette
Les
paroles empruntent cette fois à l’argot des apaches et incluent les
« blazes » populaires. Les rires du public, parfaitement audibles
sur le disque, culminent sur un surprenant effet de rime. J’ai
revu Riffard sur scène vers 1963. C’était au « Cheval d’Or »,
rue Descartes. J’ai tout de suite remarqué que sa tête avait changé :
la frange avait remplacé la banane et il avait substitué à sa monture
« Amor » une autre lus fine, genre lunettes de soudeur. Pour la
tenue, il était resté fidèle au gris, polo compris, mais il avait ajouté la
veste. Ces détails ont leur importance : se produire au music-hall avec
lunettes (Nana Mouskouri, Dick Annegarn, Isabelle Mayereau) et sans cravate est
aujourd’hui chose courante. Ça ne l’était pas dans les dernières années
cinquante qui ont vu Roger Riffard monter sur scène. Ce mépris de l’apparence
et de la convention semble indiquer chez lui une sorte de pari secret :
accrocher, amuser, séduire le public par les seules vertus de son écriture et
de son jeu scénique. Autrement dit, ses qualités de présence au sens fort. UN
MELODISTE ORIGINAL
Avec Ricet Barrier, Boby Lapointe, Petit-Bobo (alias Pierre Maguelon), Anne
Sylvestre et quelques autres, Roger Riffard fut un des piliers du « Cheval
d’Or » jusqu’à la fermeture de l’établissement en 1968. Je ne
saurais dire combien de fois j’y suis allé rien que pour lui. Une de ses
dernières chansons qu’il y a créées, non enregistrée à ce jour, s’intitule
« Rendez-moi mon cheval ». C’est comme ce titre l’indique, la
pressante sommation faite aux consommateurs d’un saloon de rendre à l’intéressé
sa monture. Mais se trouvant inopinément en panne, de « Lüger »,
notre « héros » battra prudemment en retraite. Salut
les gars je mets les gaz
Le tout sur une musique « country western». Riffard avait placé cette
chanson en fin de tour, ce qui lui donnait l’occasion d’une sortie de scène
qui avait tout d’une fuite.
Après 66, c’est sur les écrans de
cinéma et de télé, mais aussi et plus encore au théâtre qu’on a pu voir
Roger Riffard. Notamment dans les mises en scène de Jean Dasté et de Marcel
Maréchal. Ce dernier lui a d’ailleurs commandé musiques et chansons de
scène. Sans cesser d’enrichir son propre répertoire, Riffard a encore écrit
et composé pour les spectacles de marionnettes réalisés
par Robert Bordenave et Mireille Antoine.
Sur l’invitation de Jacques Serizier,
il a présenté son dernier tour de chant à la « Vieille Grille »
en octobre 1979. Soit une bonne quinzaine de titres qu’il nous interprétait
guitare en main. Dans les œuvres plus récentes on remarquait particulièrement
« L’oiseau noir »,sorte de récit fantastique que n’eût pas
renié Edgar Poe. J’ai
rencontré l’oiseau noir
De formation musicale empirique et accélérée, Roger Riffard n’en était pas
moins un mélodiste sensible et original. Le héros synthétique de ses
chansons est un garçon lunaire, naïf et généralement frappé de malchance. L’image
de la mort lui est assez familière, mais tout cela est tempéré par l’humour
et la malice de l’expression.
A propos de ses chansons, pourtant
éditées, que je n’arrivais pas à me procurer, je suis entré en relation
avec Roger Riffard en mars 1979. J’ai rencontré un homme intègre et modeste,
nuancé en paroles et aimant à rire. J’ai eu par la suite le privilège de
plusieurs récitals « en petit comité », comme il disait, et le
libre accès aux cahiers de chansons. Et voilà que dans la nuit du 27 au28
octobre 1981, Roger Riffard épuisé, nous a quittés.
Je
sais bien que tu ne l’as pas fait exprès, Roger. Mais quand même, pour nous
qui t’aimons, le coup est dur.
Jean-Louis
LE CRAVER
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Roger Riffard chantait de drôles de chansons avec une drôle de voix. Le quotidien le plus terne basculait alors, à coup sûr, dans un surréalisme tordant. Ce singulier personnage aura fait le bonheur des cabarets de la rive gauche et les premières parties de Georges Brassens qui le protégeait farouchement. Binoclard égaré, farfelu génial, certes. Il n'empêche que sous la fantaisie irrésistible se pointait toujours le sentiment, parfois aussi la gravité. Portée par une écriture et une imagination étonnantes, cette drôle d'alchimie aura passé les limites de l'étrange. A réécouter ses chansons, l'effet est aujourd'hui encore garanti. Roger Riffard aimait les nénuphars, la java, les petits trains et Mam'zelle Grand Fla-fla. Avec modestie (comme un enfant), Roger Riffard était poète. Quelques repères
Il écrit deux romans [La grande descente. Les jardiniers du bithume, chez Julliard) et ses premières chansons dans les années 50. Découvert par René Fallet (qui loue ses qualités d'écrivain dans les colonnes du Canard Enchaîné), encouragé par Pierre Maguelon et Georges Brassens, Roger Riffard débarque à Paris et débute au Cheval d'or dont il devient un artiste phare aux côtés de Boby Lapointe, Ricet-Barrier, Anne Sylvestre... Jacques Canetti le remarque et lui fera enregistrer plusieurs 45 tours (le premier en 1959) et un 25 cm chez Philips. On le voit alors dans bon nombre de cabarets de la rive gauche, aux Trois Baudets et en tournée. Mais s'il travaille et se produit sur scène, c'est surtout grâce à Brassens qui édite ses chansons et le programme dans ses premières parties (Bobino, Olympia, province). A la fin des années 60, Riffard se retire un peu de la chanson et devient essentiellement comédien : beaucoup de seconds rôles au cinéma (avec Bertrand Blier, notamment) et à la télévision. Au théâtre, après un passage chez Jean Dasté, il intègre la compagnie de Marcel Maréchal avec qui il travaille beaucoup à Marseille, puis à Lyon. Il écrit alors une pièce pour enfants [Complot dans la forêt, toujours disponible). A la demande de Jacques Serizier qui dirige la Vieille Grille, Roger Riffard revient au tour de chant en 1979. Il présente de nouvelles chansons étranges et surréalistes, un peu plus graves que les précédentes. Roger
Riffard
décède le 29 octobre 1981, deux heures
avant son ami Brassens. (Je chante - n° 14 - Printemps 1994) |